Le rapport au corps durant l’été
Le corps est resté au chaud, protégé, caché, à l’abris des regards pendant toute la période hivernale. A l’aube des beaux jours, alors qu’on se prépare à une plus grande nudité, le rapport au corps est soudainement réinterrogé après une longue hibernation.
Emmitouflés dans des vêtements chauds et moelleux à souhait, peu confrontés aux regards des autres, on a su brillamment mettre à distance les aspects les moins favorables de notre corps physique. Il a mené sa vie, tel un indépendant, sans qu’on y prête trop d’attention. La perspective de la période estivale l’a soudainement replacée au cœur des débats, avec la préoccupation de devoir l’exposer au plus grand nombre. Mais il n’est guère facile de retirer ses vêtements en toute quiétude lorsqu’on a mis en sourdine ses propres vulnérabilités ou lorsque l’identité corporelle ne satisfait pas totalement.
La douceur de l’été nous oblige à une plus grande nudité : dans l’intimité, elle invite à poser l’œil sur soi, et à réévaluer ses particularités physiques, ses formes, son grain de peau, et ses petites imperfections : « ce que je déteste vraiment aux premiers soleils, c’est de me voir toute blanche. C’est la même chose tous les ans, j’ai l’air malade ou sortie du congélateur ! » plaisante Delphine, comme si le corps n’était pas encore assez « mûr » pour se montrer aux autres. « Je trouve toujours ça très disgracieux », confesse aussi Claudine.
Se dévêtir ravive aussi l’idée de devoir dévoiler certaines choses qu’on préfèrerait peut-être cacher : « sous les vêtements, le corps raconte une autre histoire ! lance Géraldine. Moi ce sont mes cicatrices, l’histoire de la mastectomie… ». Une impression de mise à nu, d’abord de son intimité corporelle, mais aussi d’une partie de son espace intérieur. Cette situation peut alors générer des peurs, même temporaires, avec la honte de montrer un complexe, un corps différent, ou une particularité non assumée. « Tous les étés, c’est la même galère, je me prends la tête pour savoir quels vêtements porter et comment je vais cacher ma prothèse à la plage. Le reste de l’année, tout me semble très différent », explique Stéphanie. Cette phase est aussi un rappel du temps qui passe, ou d’un temps révolu : « avant mon accident, je ne me posais pas toutes ces questions à la venue de l’été, ou beaucoup moins. Maintenant, je ne veux plus montrer mes jambes, mes genoux, mes épaules, je me trouve trop maigre. Je me sens souvent mal à l’aise avant même d’être confrontée aux situations », avoue Magalie. Si certains surpassent facilement ces mécanismes intérieurs, d’autres avouent aller jusqu’à restreindre régulièrement leurs activités, notamment quand elles exposent un peu trop : « il m’est arrivé de dire non parce que je me sentais trop moche pour y aller, ou trop handicapée », confesse Claudine.
Les médias et réseaux sociaux ne facilitent pas la tâche, multipliant les survalorisations des corps parfaits, et la surenchère des apparences. Pour rééquilibrer les complexes inhérents à une inexorable comparaison, les stratégies choisies sont variées : « moi, je fais plein de nouveaux vêtements et de maillots de bain, je fais du shopping et je me fais plaisir », explique Magalie. Le look peut effectivement palier à une meilleure image de soi, et instaurer un climat de plaisir à prendre soin de soi. D’autres ont fait le choix de se détacher des systèmes d’influences, pour diminuer cette pression à toujours devoir être parfait : « à la maison, on est adeptes des revues et médias alternatifs, avec des corps différents, des tronches différentes… On cultive cette vision et on a réduit au strict minimum les publicités, dans nos boites aux lettres et à la télévision », explique Delphine. Une option plutôt efficace, si l’on en croit les résultats de recherches liées aux influences sociales et médiatiques, et à leur impact sur l’estime de soi. Ainsi, voir régulièrement des corps très variés façonnerait des standards d’attirance et de beauté plus réalistes, réduirait la pression personnelle et favoriserait une meilleure image de soi.
Quels que soient les choix de chacun, la période estivale est propice au réveil d’une forme de vulnérabilité dans le rapport au corps. Elle oblige un regard, d’abord intime, de soi à soi, puis une exposition à l’autre, agitant plus ou moins le baromètre de l’estime de soi. Elle implique de se dévoiler davantage, invitant subtilement à gravir les marches d’une authenticité d’être et de corps plus marquée.
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