ESTIME DE SOI DANS LE PARCOURS DE SOIN
Le diagnostic, l’hospitalisation, l’enchainement des rendez-vous médicaux jalonnent le parcours de soins et sont autant d’étapes pouvant bousculer les lignes du rapport à soi. Delphine, Sébastien et Géneviève témoignent du vécu de leur prise en charge médicale et de ses impacts psychologiques.
Le handicap et la maladie génèrent une prise en charge médicale souvent dense, aux multiples étapes et interlocuteurs. Ce parcours, son fonctionnement, les attitudes et mots perçus sont autant d’informations passées au crible par les patients. Il génère, selon les situations, une expérience vécue contenante et sécurisante, mais aussi parfois une blessure forte de l’estime de soi. « Après mon accident, les différentes hospitalisations ont été très positives pour moi, témoigne Delphine. Du personnel très à l’écoute, et le fait d’être en groupe avec d’autres personnes vivant les mêmes situations est une aide importante. Je me souviens tout particulièrement de deux ergothérapeutes, très présentes, qui m’ont permis de me reconnecter au bon moment à la vie pratique et quotidienne, après les étapes nécessaires de rééducation physique. Les autres vivant la même chose et qu’on apprend à connaitre permettent de se comparer et de se comprendre. Ça fait beaucoup avancer », ajoute-t-elle.
Le collectif peut ainsi être bénéfique dans le rapport à soi, par effet de comparaison, pour la contenance et la protection qu’il génère, et certainement pour l’effet de groupe sécurisant qu’il procure. Mais l’expérience du groupe pendant le soin peut s’avérer tout autant dévastatrice : « j’ai participé à un groupe de parole pendant mon cancer, un vrai désastre ! Je n’ai pas supporté d’entendre et de voir le malheur des autres, je n’arrivais pas à me voir comme eux », explique Sébastien. Le rapport à l’autre, également malade, peut être ainsi un véritable choc, révélant à tort ou à raison une partie de ce que l’on est devenu, avec un sentiment très fort de perte d’estime. L’évaluation de soi s’effectue alors sous un nouveau filtre, encore tout nouveau dans la compréhension d’une vision de soi à réinventer. Geneviève, résidant depuis peu en EHPAD, témoigne aussi d’un vécu similaire, découplé par l’attitude des soignants, qu’elle vit comme une véritable perte d’autonomie : « moi, je ne me sens pas vieille du tout, et je ne voulais pas être ici avec tous ces vieux, et encore moins qu’on me fasse tout. C’est désespérant d’être réduit à ne plus choisir, ni ses plats, ni son quotidien, de ne plus pouvoir éplucher ses légumes. Je me sens très mal ». La mécanique institutionnelle, son rythme et ses codes, participe ainsi, souvent à son insu, à une perte d’autonomie pour le patient ou le résident, et blesse inexorablement le rapport à soi. Il est alors psychologiquement difficile de ne plus pouvoir être soi-même, et difficile d’être valorisé pour ce que l’on est ou ce que l’on fait. Fort heureusement, de nombreux soignants, très conscients de cet impact, redoublent d’énergie pour favoriser un quotidien plus valorisant : accompagnement au-delà du soin, activités hors établissement, soins esthétiques, retour progressif à une vie pratique et quotidienne, compliments répétés…etc. En dépit de cette bonne volonté médicale, les patients restent parfois très sensibles aux gestes, aux paroles, à ce qu’ils considèrent comme des manquements dans leur parcours de soin. Geneviève et Sébastien confient avoir été souvent blessés par une multitude de petites choses : un diagnostic mal expliqué, des soins trop mécaniques « c‘est très dur d’être manipulé comme ça chaque jour, on se sent comme des objets », par des soins trop rapides « les infirmières sont pressées, elles ont tellement de personnes à voir les pauvres, alors je ne demande pas, je n’insiste pas », se résigne Geneviève en EHPAD. Tous deux ont admis que le temps qui leur été accordé était bien maigre, avec l’idée très violente qu’après tout, ils ne méritaient pas plus d’attention que les autres. Ils ont aussi été très sensibles aux mots entendus « certaines personnes ont été d’un soutien gigantesque, tandis que d’autres ont laissé une parole qui m’a marquée à jamais », explique Sébastien. « Un jour, mon premier oncologue m’a lancé : Je ne peux quand même pas toujours répondre à toutes vos questions, si je fais comme ça avec tout le monde, comment voulez-vous que je m’en sorte ! ». « Alors que j’étais très inquiet, mon généraliste m’a aussi lancé « vous n’allez pas mourir dans les 6 mois, il ne faut quand même pas exagérer ! C’est horrible d’entendre ce genre de choses». Geneviève a vécu elle aussi une forme de déni de ses émotions et de ses besoins : « on se sent réduits à rien du tout. Ici on ne me regarde plus de la même façon, alors que je suis dans ma tête toujours la même personne. Heureusement, certaines filles continuent à nous accorder de l’importance et sont très mignonnes, on parle souvent de ce que je faisais avant et elles sont très réconfortantes».
L’institution, son organisation, le personnel rencontré semblent ainsi faire la pluie et le beau temps sur le baromètre de l’estime de soi des personnes. Au-delà du soin médical, l’intention portée, le temps consacré, les mots pour le dire, l’autonomisation, le faire comme avant avec ses nouvelles possibilités sont autant d’occasions d’une re-co-naissance (au sens de nouvelle naissance) favorable à bonne estime. Peu à peu, le groupe, les regards valorisants de ceux qui le vivent ou des soignants peuvent participer à la construction d’une toute nouvelle hygiène psychologique encore à bâtir : avec cette double conscience d’être porteur d’une maladie, d’un handicap, d’être fatigué et autrement capable, et de pouvoir aussi se réjouir, comme avant, d’être une super personne, avec des compétences à redécouvrir et à exploiter dans un tout nouveau corps.
Un article publié dans le mag Handirect.
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